jeudi 21 octobre 2010

Je suis jeune et je ne manifesterai pas



Depuis plusieurs jours (semaines), les médias nous abreuvent de l'arrivée des jeunes, lycéens, étudiants, dans les cortèges des manifestations contre la réforme des retraites. "Les jeunes". À les entendre, on a le sentiment que toute la jeunesse de France se révolte et envahit les rues de sa fraîcheur adolescente et rebelle. Toute ? Non, une part discrète et réfléchie resiste toujours à l'appel de la rue. Moi y compris.

Je ne manifesterai pas, parce que je ne veux pas - et pour une fois je vais stigmatiser - être juste "jeune". Je ne suis pas une génération issue de nulle part, coupée de son héritage et des générations précédentes. Je suis la fille de deux personnes, et je veux croire que ma vie et mes choix appartiendront au futur. Je préfère agir pour le futur en me nourrissant du passé, plutôt que de ne penser qu'au présent et aux petites semaines de grèves qui s'annoncent.

Je ne manifesterai pas, car je refuse d'appartenir à tous ces jeunes qui décrédibilisent mes conscrits par leurs propos déconstruits qu'ils tiennent dans la manifestation, qui aiment cette vie bohême dans le but de manquer les cours ou de lutter en vrac pour des causes qui n'ont rien à voir avec la réforme des retraites. Je ne veux pas répondre aux agitateurs de révolution qui incitent les jeunes à se rebeller sous prétexte d'une prétendue solidarité. Ma pensée est indépendante de l'esprit ambiant qui valorise la bien-pensance qui censure.

Je ne manifesterai pas, car je ne veux pas contribuer, même indirectement, à ce qu'un maire élu doive porter plainte contre les forces de l'ordre.

Je ne manifesterai pas, car je crois qu'en tant que Française, je peux en premier lieu exprimer mon mécontentement ou ma satisfaction par un vote, par une action politique si je le choisis, mais pas par la rue comme forme d'expression et de pression sur le Gouvernement.

Je ne manifesterai pas, car je pense que la réforme ne me concerne pas. Je suis jeune, des réformes de retraites et des gouvernements, il y en aura encore. Je veux d'abord me préoccuper de faire au mieux mon travail pour non seulement "gagner ma vie", mais participer à l'édification de la société, à la mienne. Je crois que construire une profession en se levant chaque matin fait plus de moi une Femme responsable et concernée que d'être debout, slogan en main, dans une manifestation qui ne construit rien du tout.

Je ne manifesterai pas, car je crois qu'avant d'exercer un droit, je suis en mesure de faire mon devoir d'Etat : travailler, construire, même modestement et peut-être avec peine dans le contexte actuel, je grandirai en relevant des défis qui forment la jeunesse. Je préfère l'héroïsme activiste à l'héroïsme rebelle qui s'éteint en même temps que les ardeurs de la jeunesse.

Je ne manifesterai pas, car je ne crois pas que le travail soit forcément une prison. Je suis certes une privilégiée qui a choisi son métier. Mais je veux plutôt témoigner de l'aspect vocationnel d'une profession, de la satisfaction et de la fierté que l'on peut tirer d'un travail bien fait, quel qu'il soit. Je veux croire que la richesse d'un travail ne vient pas forcément de la richesse financière qui en découle, mais de l'occasion qu'il offre à chaque Homme de s'épanouir, de grandir et d'offrir. Je veux espérer que pouvoir faire un métier, même difficile, jusqu'à 67 ans, peut-être fait s'il permet d'offrir à sa famille un moyen d'être fier de soi, et de prouver que l'on fait de son mieux pour ceux que l'on aime. Je crois plus à l'édification et à l'élévation d'un homme et d'une société par son travail laborieux et discret plus que par les cris de la rue.

Je ne manifesterai pas, car je crois que les mobilisations qui bloquent les universités privent les étudiants d'un droit plus sacré pour moi encore, que celui du droit de grève : le droit à l'éducation et à la formation. Je crois que la formation est l'un des moyens de préparer son avenir en construisant, en réfléchissant, en apprenant... Je crois que jamais l'éducation et l'enseignement, les diplômes ne doivent être bradés en fonction d'agitateurs sociaux qui n'offrent que la rebellion à des jeunes inquiets sur les bancs de la faculté. Je rêve qu'un jour ces agitateurs au lieu de s'opposer frontalement avec les patrons, devraient faire le lien avec cette jeunesse qu'ils veulent convaincre d'être la génération sacrifiée.

Je ne manifesterai pas, car il y a des valeurs qui transcendent le travail et le pouvoir d'achat. Les amitiés durables, la famille, seront autant de joies dispersées dans les heures laborieuses et les longues années travaillées de mon existence. Je veux croire que ma capacité à accueillir la vie sera signe d'espérance pour un avenir radieux où les générations se renouvelleront, et contribueront à leur tour à s'occuper de la pension des générations plus âgées. C'est à cet effort-là sur le long terme, que je veux offrir ma jeunesse. Je ne me satisferai jamais d'une mobilisation à court-terme qui se nourrit d'un pessimisme destructeur.

Je ne manifesterai pas, car mon grand-père maternel, cheminot de son métier, n'a jamais mis les pieds dans une grève, ne s'est jamais plaint de ses conditions de travail, parce qu'en échange les billets gratuits offerts par son employeur lui ont permis d'offrir des vacances à la mer à ses enfants, un abonnement à l'Equipe pendant de longues années et des rustines pour les roues de son éternel vélo. Parce qu'il a cru qu'être un homme responsable, ça n'est pas placer le bonheur dans l'attente de la retraite comme âge d'or, mais à chaque heure précieuse et vécue pleinement entre les longues journées de travail.