samedi 15 octobre 2011

Minuit au cinéma



Il est minuit, tout s'arrête ?

Oh non ! Au contraire. Fanfan a valsé toute la soirée. Elle imagine qu'elle hait ce petit Corse, qu'un capitaine défend sa vertu discutable. C'est l'heure d'un nouveau jour pas comme les autres, d'une heure neuve, d'une heure surprise, d'une heure qui recommence. On suspend l'habitude à un fil, on se positionne amoureusement entre le oui et le non, pour se séduire d'un peut-être.

Il est minuit, entre le Bien et le Mal ?

Certes, a-t-il dit. C'est l'heure où le jardin est frais et humide, presque saisissable. On y aperçoit une gouvernante, qui se demande bien pourquoi son auteur l'a laissé espérer qu'elle pourrait épouser le maître du domaine. Le coeur crevé, la gorge nouée, elle masque derrière sa silhouette noire l'amertume de cette soirée.

Il est minuit, l'heure du crime ?

John sort du cinéma, armé. Il aime bien quand le film raconte un peu sa vie sous les traits de Gable. La sienne de vie, s'écroule ce soir d'un coup. Cible atteinte. Ecran noir. Billie n'ira plus au cinéma, elle. Enroulée dans une fourrure démodée, elle regagne son vestiaire et écrase le rimmel laissé sur son mouchoir. 

Il est minuit, l'heure de Cendrillon ?

Les gouvernantes du XXIème, elles, répètent sur leurs lèvres closes les répliques, elles les murmurent, elles, ces chapelets de mots romanesques. Mais en vrai, elles observent, depuis leurs fenêtres, le jardin, silencieux et désert. Finalement, ce sont les gouvernantes qui ont de la chance. Elles peuvent encore aller au cinéma. Elles peuvent encore attendre l'Être aimé et guetter l'horloge jusqu'au douzième nombre.

Il est minuit, l'heure...où tout commence.

lundi 10 octobre 2011

L'homme du téléphone

Je m'appelle Madame Roussette. J'ai 75 ans et depuis ma fenêtre qui donne sur la montée du Chemin-Neuf, j'aime bien observer les passants. Ils sont un peu mon théâtre. Depuis quelques semaines, j'attends la nuit, car un personnage de roman a investi le champ, a pris la scène. Il m'amuse, ce jeune homme. Dans son manteau noir, on dirait mon cher époux, quand il rentrait de son bureau de comptable.

Mais mon p'tit jeune homme, là, il ne doit pas avoir de portable, c'est bizarre à notre époque... M'enfin, toujours est-il qu'il utilise chaque soir, la nuit tombée, cette vieille cabine cassée, aux vitres fêlées. Au début, je croyais qu'il appelait sa maman, mais à la réflexion, je me suis dit que non... Il sourit trop fort quand il dit Allô, qu'il parle d'écharpes ou de pompons... Il reste trop longtemps, deux heures souvent. Et il galope dans cette montée, comme si sa vie dépendait du driiing ancestral du poste téléphonique.

Quand je l'observe, je bois ma tisane, bien au chaud. Je remarque ses doigts rouges, ses pieds trempés. Parfois un chat vient le voir, et il s'accroupit. Il ne lâche pas son combiné, ni la voix du bout du fil. Téléphone rouge, rouge passion ? Quand il neige, il raconte qu'il aime l'hiver. 

Il semble parti loin, haut, quand il tient le combiné bleu en plastique, et pourtant il colle au décor. Un soir, il a fini son paquet de cigarettes, mon homme du téléphone. Il rougissait, le pauvre, de froid et de coeur. Il pianotait, parfois je tentais de deviner quel morceau de Chopin il jouait. 

Et puis un jour, plus d'homme téléphone, plus de rendez-vous quotidien. Il a du acheter un portable. Et puis c'est l'été, il ne doit plus porter de manteau noir, maintenant. 

Je me demande bien s'il a fini par épouser son interlocutrice.