lundi 10 octobre 2011

L'homme du téléphone

Je m'appelle Madame Roussette. J'ai 75 ans et depuis ma fenêtre qui donne sur la montée du Chemin-Neuf, j'aime bien observer les passants. Ils sont un peu mon théâtre. Depuis quelques semaines, j'attends la nuit, car un personnage de roman a investi le champ, a pris la scène. Il m'amuse, ce jeune homme. Dans son manteau noir, on dirait mon cher époux, quand il rentrait de son bureau de comptable.

Mais mon p'tit jeune homme, là, il ne doit pas avoir de portable, c'est bizarre à notre époque... M'enfin, toujours est-il qu'il utilise chaque soir, la nuit tombée, cette vieille cabine cassée, aux vitres fêlées. Au début, je croyais qu'il appelait sa maman, mais à la réflexion, je me suis dit que non... Il sourit trop fort quand il dit Allô, qu'il parle d'écharpes ou de pompons... Il reste trop longtemps, deux heures souvent. Et il galope dans cette montée, comme si sa vie dépendait du driiing ancestral du poste téléphonique.

Quand je l'observe, je bois ma tisane, bien au chaud. Je remarque ses doigts rouges, ses pieds trempés. Parfois un chat vient le voir, et il s'accroupit. Il ne lâche pas son combiné, ni la voix du bout du fil. Téléphone rouge, rouge passion ? Quand il neige, il raconte qu'il aime l'hiver. 

Il semble parti loin, haut, quand il tient le combiné bleu en plastique, et pourtant il colle au décor. Un soir, il a fini son paquet de cigarettes, mon homme du téléphone. Il rougissait, le pauvre, de froid et de coeur. Il pianotait, parfois je tentais de deviner quel morceau de Chopin il jouait. 

Et puis un jour, plus d'homme téléphone, plus de rendez-vous quotidien. Il a du acheter un portable. Et puis c'est l'été, il ne doit plus porter de manteau noir, maintenant. 

Je me demande bien s'il a fini par épouser son interlocutrice. 

1 commentaire:

  1. Fabuleux ! Un vrai délice à lire ! Je n'ai qu'un mot aux lèvres : Bravo ! Et un deuxième tiens ! : Encore !
    Camille

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