mercredi 8 décembre 2010

Love you

Je suis amoureuse. C'est sa faute. C'est aussi à cause de lui que j'ai voulu commencer le journalisme. Dans mes rêves les plus fous, je passais plus d'une heure avec lui, et j'écrivais l'interview idéale. Aujourd'hui, je ne sais plus si je voudrais toujours le passer à ma question. D'autres le font, et il répond avec brio. Il vient d'une époque où le cinéma français avait encore de la gueule. Sa gueule.

Alain Delon a commencé dans le sillage des plus grands maîtres du cinéma. Petite frappe banlieusarde, engagé volontaire dans l'armée ou super pote de malfaiteurs, l'homme est à lui seul un héros de Manchette ou de tout autre polar vendu dans un hall de gare. Paris, c'est son terrain. Tout ça tombe finalement plutôt bien, parce que les truands ou les poulets, il va les fréquenter assidûment sur tous les Pathé de France et de Navarre pendant une bonne trentaine d'années. Moi quinze ans plus tard, je découvre Paris au gré des courses-poursuites - et des VHS enregistrées - dans les vieilles bagnoles blanches que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, moi y compris. Sauf que moi si, en fait.



Comme je suis quand même une fille, je l'aime bien aussi faisant l'amour et la guerre en Italie dans Le Guépard, je suis à ses pieds quand il plonge dans La piscine avec cette veinarde de Romy Schneider, et je minaude un peu - mais pas trop, c'est quand même Delon - quand il offre des caramels à Dalida. Encore aujourd'hui, il a la classe, celle des vrais grands : quand il explique la différence entre acteur et comédien et qu'il se range dans la première catégorie, on comprend qu'il n'est pas si orgueilleux que cela, on l'écoute et on la ferme. Que pu****, il l'a mérité, sa place en Plein soleil.

Comme je suis amoureuse, je fais souvent pause quand on aperçoit un rictus narquois sur sa gueule, quand ses yeux bleus scillent à peine, à la recherche de la clé qui pourra débloquer la voiture. Je lui donne le Bon Dieu sans confession, même quand il est le tueur de Philippe Greenleaf. J'aime quand il fume et que personne ne l'emmerde parce qu'il est à l'intérieur du bar. J'aime quand il parle de sa voix grave contre un flic, un voyou ou une femme. Je suis contre la peine de mort quand Gabin ne peut pas le sauver, et j'aime les oiseaux quand il nourrit son canari. Je lui pardonne ses infidélités, ses compagnes nombreuses sur la pellicule... et même dans sa vie. Même ses films plutôt genre série B à faire se marrer Les Inconnus. Parce qu'un jour Tancrède, Guillaume de Saint-Preux, Le samouraï... ont transformé la dégustation d'un verre de Bayley's en petit moment de cinéma, à la papa. Sauf que moi, je n'ai jamais revendu les disques de ma soeur pour me payer une place - y'a prescription.

Aujourd'hui, ça m'fait un peu mal, tout ça. Parce qu'y'a plus d'films. Y'a bien eu un navet, des séries télé pour me faire patienter, des Paris-Match piteusement pathétiques, des participations douteuses à la télé. Il parle de lui à la troisième personne quand il évoque la nostalgie des Melville, Romy, Ventura, Gabin, comme s'il s'était laissé là-bas, avec eux, dans les studios de Boulogne-Billancourt, ou en train de poser pour la photo NB Harcourt. Il n'a plus de réalisateur pour le faire tourner, plus d'actrice pour succomber à son charme, plus de truand à dézinguer au coin d'une rue du IXème arrondissement. Et de toute façon, sa cigarette, coincée trop haut entre les premières phalanges de l'index et du majeur droits, est interdite dans les lieux publics.

J'me cale dans l'fauteuil, j'lui indique la sortie du piano-bar avant l'arrivée du commissaire. Parfois je le croise quand j'attends le bus. Et quand il pleut bien sur Paris, que le ciel est gris, je sors mon imper, mon Borsalino (je l'ai acheté exprès, lui...) et je vais chercher Jeff Costello.

1 commentaire:

  1. J'espère que t'as regardé l'émission dont je t'ai parlé ;)
    putain faut que je t'appelle ^^

    RépondreSupprimer